L’épreuve du macadam
Leur premier réflexe consiste à esquisser un mouvement de recul. Une réaction physique imparable chez tout interviewé potentiel. Enquête, reportage ou micro-trottoir (surtout micro-trottoir !) donnent lieu à l'implacable chorégraphie de l'évitement. Un pas de deux cocasse entre l'apprenti gratte-papier et son fond de commerce : le public.
Dans la jungle urbaine, le quidam est sur le qui-vive. Inconsciemment, il semble croire qu'un agresseur potentiel se cache derrière chaque lampadaire. Alors, pour esquiver l'affrontement, le pékin marche toujours la tête penchée vers le sol. Non pas en signe de soumission mais pour bien signifier qu'il n'y est pour personne et qu'il « faudrait voir à pas le déranger ».
Le petit enquêteur en herbe, lui, est aux aguets. Il se tient debout, toutes voiles dehors, les yeux écarquillés, stylo dans une main, carnet dans l'autre et buste en avant, à l'assaut des brousses citadines. Une allure qui se repère à distance, même chez ceux qui gardent les pupilles rivées sur leurs chaussettes.
Lorsque l'aspirant journaliste s'essaye à aborder l'un de ces Parisiens aux traits tirés, la fameuse petite danse ne manque jamais de se produire. Une réaction physique : petit écart de côté, recul, les deux mains croisées vers l'avant, situation de combat.
Une fois ferré, le sujet peut s'enfuir à tout moment, alors il faut user de persuasion. Le « Bonjour-je-suis-zétudiant(e)-en-journalisme-et… » n'est pas nécessairement le meilleur des sésames. Le mot en « J » en effraie plus d'un. Point de pitié pour le petit mousse. Age, statut prénom sont protégés comme des secrets d'Etat. Alors, pour parvenir à ses fins, toute ruse est bonne à prendre. La meilleure reste encore le sourire.
Marina Torre