L’obsession des angles
L'obsession des angles
« Voilà un bon sujet mais…c'est quoi ton angle ? »… « Damned, encore raté ! ». Quelle déconvenue pour l'apprenti journaliste quand, après un dur labeur, le rédac' chef refuse un papier « pas assez anglé ». Petite notice à l'usage des malades atteints par les angles.
Trouver un angle, le traiter et le maîtriser…tout un programme pour les jeunes rédacteurs ! « Comment ça, la crise économique ce n'est pas un sujet anglé? » s'étonne le néophyte fraîchement sorti de l'université. « Non », répond son aîné aux angles affutés, « depuis que tu n'as que deux feuillets à me rendre, tu vas me trouver une seule branche pour éclairer l'arbre, et fissa ! ». Une vraie maladie, incurable dans le milieu…
L'angle, en écriture journalistique, n'est ni géométrique, ni celui d'une rue. Dans le jargon, ce terme renvoie à une partie visible d'un sujet, traité par rapport à la position de celui qui met l'information en scène, à l'attention du lecteur. Le journaliste doit, pour rédiger la plupart de ses « papiers », trouver l'aspect d'une question qui sera proche, utile, nouveaux et intéressant pour son lectorat. C'est ainsi qu'un « sujet » devient un « sujet anglé » - donc un « angle » – et que l'information brute devient un « sujet » qui doit attirer l'œil du lecteur. C'est clair ? Alors tous en cœur…
…J'angle, tu angles, il angle, nous anglons etc. Une litanie qui peut semer la zizanie dans les esprits des non-avertis. Pourtant, rien ne sert d'écrire, il faut partir anglé. Il s'agit aussi d'être carré, et de « tenir son angle » du début à la fin du papier. Quitte à trop en faire, au moins le propos sera clair. Tout est bon pour plaire au lecteur. « Alors la stratégie américaine au Moyen-Orient non plus, ce n'est pas un sujet ? » s'acharne le jeune journaliste. « Si c'est un sujet mais sans angle ! Par contre, le budget américain annuel pour la guerre en Afghanistan, ça c'est un angle, et là tu as ton sujet… »
Lise Vogel