Comment j’ai malencontreusement interviewé des journalistes
Jeudi 19 novembre. Chaque année les étudiants de l'IFJ doivent faire un reportage sur la fête du beaujolais nouveau. Le soir du jour J, le ton est donné. Rien. Les bistrotiers se répandent en platitudes. Quant aux clients, ils boivent de la bière.
Le destin de mon papier semble donc scellé, si je ne revois pas ma stratégie. J'entre dans un bistrot près de la Bastille (XIe) et m'approche du comptoir pour aborder un groupe de clients, tous avec une bière à la main. J'esquisse un sourire gentil, volontairement timide, et déclame un scénario tragiquement bien ficelé. Moi, pauvre petit élève-journaliste, dois accomplir mon bizutage de l'année (les sourcils se lèvent, je les tiens). Il faut que l'on me parle du primeur et je désespère de trouver une bonne âme. Le chantage affectif marche. Chacun y va de son avis. Le reportage prend forme.
Là-dessus, je fais le tour du bar et m'avance vers trois hommes attablés autour d'une bouteille de beaujolais. L'un d'eux me demande l'addition et s'étrangle de rire : « Allez mon petit, c'est quoi ton angle ? ». Le terme technique me met la puce à l'oreille. Je prends une chaise et m'invite à table. Mon intuition est juste, ce sont bien trois (futurs) confrère. On fait les présentations. Le plus fêtard des trois, journaliste à l'Express, est passé par le même cursus que moi. Un philosophe journaliste ? Et féru de Platon avec ça. Platon, mon préféré ! Me voilà définitivement adopté. On me commande un pichet de « beaujolpif ».
Nicolas Rossato